Kommentar

Qui veut la démocratisation doit prendre position

Akram Belkaid © zvg

Akram Belkaid, Paris /  L’assaut sanglant contre les camps de pro-Morsi est une honte et un crime majeur.

Jour après jour l’Egypte s’achemine vers la guerre civile. Qu’on le veuille ou non, ce qui s’y passe est la conséquence directe de la destitution du président Mohamed Morsi par l’armée le trois juillet dernier. Qui a pu croire alors que les Frères musulmans et leurs sympathisants accepteraient ce coup de force sans réagir? En décidant de mettre aux arrêts (et au secret) le premier président démocratiquement élu dans l’histoire de l’Egypte, les militaires ont commis une faute majeure. Ils ont mis en danger l’intégrité de leur pays et ont délibérément ouvert une boite de pandore qu’il sera désormais difficile de refermer. Et, contrairement à ce que prétendent nombre de «démocrates» égyptiens – certains ont atteint des sommets dans le pathétique pour justifier leur soutien au coup d’Etat – les premiers responsables des assauts sanglants des forces de l’ordre contre les campements pro-Morsi ne sont pas les dirigeants de la Confrérie des Frères musulmans mais bien ceux qui ont donné l’ordre d’ouvrir le feu.

Il ne s’agit pas ici de défendre le court bilan de Morsi et certainement pas de reprendre les textes hagiographiques qui circulent à son propos sur la toile et que relaient des sites d’informations plus ou moins proches de l’islamisme politique. L’homme a fait des erreurs importantes, il n’a pas pris la mesure de sa tâche et ne s’est pas rendu compte qu’il divisait son peuple. Surtout, il n’a pas réalisé à quel point il se devait de protéger la transition démocratique en pratiquant une ouverture politique plutôt que de gouverner au seul bénéfice de ses pairs. Mais quelles que soient ses fautes, il ne méritait certainement pas d’être embastillé de la sorte et, qui plus est, sans aucun procès.

Pour autant, il est important pour tout partisan de la démocratisation du monde arabe de prendre position par rapport à ce qui se passe en Egypte. Qu’on le veuille ou non, les Frères musulmans sont des acteurs incontournables de la vie politique égyptienne et les massacrer ne règlera aucun problème, bien au contraire. L’assaut sanglant contre les camps de pro-Morsi est une honte et un crime majeur. Conséquence d’une crise politique provoquée par l’armée et ses soutiens, ces sit-in auraient dû être levés grâce à un compromis politique et, surtout, de manière pacifique pour ne pas aggraver la situation.

Mais l’armée égyptienne a visiblement d’autres objectifs. Depuis le début de l’été, elle entend privilégier l’épreuve de force voire-même l’encourager. Peut-être se sent-elle capable de réduire à néant le mouvement des Frères musulmans… Peut-être est-elle décidée à sacrifier une partie de la population au nom de la «sauvegarde» de l’Egypte. Peut-être pense-t-elle à l’expérience algérienne en se disant que, in fine, l’islamisme politique est toujours vaincu sur le plan sécuritaire («à quel prix?» est la question que les képis égyptiens ne se posent pas…). Ou alors, peut-être que l’armée égyptienne n’a finalement aucune stratégie clairement définie et qu’elle avance au coup par coup, en présumant de ses forces et de sa capacité à ramener l’ordre. Ou plutôt, en présumant de sa capacité à instaurer rapidement un ordre de fer…

Car c’est bien là vers où se dirige l’Egypte. Le sang appelle le sang et qui dit violence dit pouvoir dictatorial et Etat d’exception. Bien naïfs sont les démocrates qui ont soutenu le coup d’Etat contre Morsi et qui pensent que Sissi et sa bande de galonnés vont leur offrir demain une place au sommet du pouvoir. Bien sûr, ils auront quelques strapontins car l’époque n’est plus aux juntes totales. Comme sous Moubarak, la démocratie sera officiellement proclamée mais l’on sait déjà qu’elle sera de façade et que des lignes rouges seront interdites de franchissement sous peine d’emprisonnement et autres désagréments caractéristiques des dictatures.

Que peut-on faire pour l’Egypte et les Egyptiens? Cela peut paraître naïf mais il est important de multiplier les appels au calme et à la conciliation. Les récentes tentatives de médiation ont échoué? Il faut recommencer. Certes, on ne peut guère compter sur les pays arabes dont certains – on regardera du côté de la péninsule arabique – se frottent les mains à propos du dérapage de la transition égyptienne post-Moubarak. La question reste donc de savoir ce que veulent, et ce que peuvent, l’Europe et, surtout, les Etats-Unis. Eux-seuls peuvent faire pression sur l’armée égyptienne et l’amener à négocier. Le feront-ils? Une chose est certaine, personne, pas même Israël, n’a intérêt à ce que l’Egypte soit à feu et à sang.

Enfin, ce qui se passe en Egypte devrait aider les Tunisiens à réfléchir quant aux conséquences d’un détournement du processus démocratique. Partisans ou opposants du parti Ennahda n’ont qu’à méditer le chaos égyptien pour savoir quelles erreurs éviter. Peut-être que cela leur semblera plus convaincant que les mises en garde répétées de leurs voisins algériens… Pourtant fort de leur terrible expérience des années 1990, ces derniers ont bien de la peine à faire entendre leur exhortation à la prudence et au dialogue national. Car la paix civile n’a pas de prix et c’est ce que les Egyptiens sont malheureusement en train de réaliser.


Themenbezogene Interessenbindung der Autorin/des Autors

Der Autor ist Algerier. Er lebt seit langem als Journalist in Paris und hat sich auf die Entwicklung der arabischen Welt spezialisiert.

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