Kommentar

Terrorisme: la fin de la trêve

Marc Chesney © zvg

Marc Chesney /  La société actuelle, reposant sur un utilitarisme vulgaire, a d’emblée perdu la guerre face au terrorisme.

Red. Diesen Kommentar vom 23.12.2016 veröffentlichen wir auf Wunsch von Leserinnen gerne auch auf französisch. Marc Chesney ist Professor der Finanzwissenschaften an der Universität Zürich. Er interessiert sich unter anderem für die Finanzflüsse terroristischer Organisationen.
Oublié sa culture et son identité
La société actuelle, sans véritable valeur autre que financière, reposant sur un utilitarisme vulgaire, qui a oublié sa culture et son identité, a d’emblée perdu la guerre face au terrorisme avant même de l’avoir menée.
Une pause entre deux barbaries
Dans son roman autobiographique qui oscille entre tragédie et espoir, l’auteur Primo Levi décrit la libération du camp de concentration d’Auschwitz en 1945 par les troupes russes et l’errance d’un groupe de survivants italiens à travers l’Europe centrale vers l’Italie.
Le choix du titre, La Trêve, amène à penser que la fin de la Seconde Guerre mondiale ne serait, aux yeux de l’auteur, qu’une pause entre deux barbaries, celle générée par les nazis ainsi qu’une autre, qu’il ne nomme pas. Cette pause a d’ailleurs failli être de courte durée, puisque le continent européen aurait pu être le théâtre d’un conflit atomique résultant de la Guerre froide et que le spectre d’une telle guerre continue à rôder.
Les attentats qui ont frappé l’Europe en 2015 et en 2016, en particulier récemment à Berlin, permettent d’identifier une autre forme de barbarie, celle du terrorisme islamiste. Voici que la terreur resurgit au cœur de l’Europe, et en particulier en France, en Allemagne et en Belgique. Des enfants, des passants, des vacanciers sont fauchés au hasard des zigzags d’un camion meurtrier, d’une rafale de mitraillette, d’un coup de couteau ou de l’activation d’une bombe par un kamikaze.
La faillite d’une politique
Que font les responsables des pays concernés? Ils continuent à appliquer des recettes qui jusqu’à présent n’ont pas fonctionné. Les discours sans substance se succèdent les uns aux autres. Si les attentats résultent aussi d’une faille sécuritaire, souvent mentionnée dans les médias, ils proviennent avant tout de la faillite d’une politique.
François Hollande a prolongé l’état d’urgence, qui jusqu’à présent n’a pas pu empêcher les massacres. Par ailleurs, il s’est fixé pour objectif d’aller bombarder les terroristes en Syrie «dans leur repaire». Faut-il lui rappeler que les terroristes responsables des derniers attentats en France étaient pour la plupart français ou belges et que leurs repaires sont situés dans les banlieues parisiennes, bruxelloises ou niçoises?
De plus, il conviendrait que les gouvernements français et allemand s’expliquent sur les forces ou les soutiens logistiques déployés sur différents théâtres d’opération extérieure. La Syrie, l’Irak et la Libye, qui avant l’intervention occidentale n’étaient pas confrontés à la présence d’un Etat islamique sur leur sol, sont maintenant ravagés par des guerres sanguinaires. Les Etats-Unis et leurs alliés ont joué le rôle de pompier pyromane. Leur «guerre contre la terreur», initiée par George Bush en 2001, s’apparente le plus souvent à une tentative d’appropriation de ressources énergétiques à l’étranger et sur leur sol national, à une politique qui, en dernière instance, est vouée à l’échec.
La duplicité
L’enquête menée après les attentats du 14 juillet 2016 à Nice, a mis en évidence parmi les relations du tueur, un djihadiste niçois proche du Front Al-Nosra, désormais Fatah Al-Cham, c’est-à-dire de la branche d’Al-Qaida en Syrie, qui récemment encore tenait la ville d’Alep. Faut-il rappeler que Laurent Fabius, en 2012, alors ministre des affaires étrangères français, aurait déclaré, entre autres selon le journal Le Monde daté du 13.12.2012, que le front Al-Nosra, faisait «du bon boulot» en Syrie, sans qu’il soit clair si cela reflète son opinion ou celle de pays arabes proches de la France?
Il serait temps que les «responsables» politiques concernés, en France comme en Allemagne, s’expliquent sur leurs déclarations et sur leur stratégie consistant à soutenir et à fournir à des groupes rebelles, qu’ils présentent comme modérés, des armes qui finissent le plus souvent entre les mains de structures terroristes, tant en Syrie qu’en Libye ou en Afghanistan. Il serait aussi plus que temps qu’ils rendent compte de leurs affinités avec les monarchies du Golfe persique, qui promeuvent et financent un islamisme salafiste absolument incompatible avec la démocratie.
Quelles sont les banques impliquées?
De nombreuses questions demeurent en suspens. Comment une organisation comme Daesh, encore inconnue quelques années auparavant, a-t-elle pu conquérir aussi rapidement de si vastes territoires en Syrie et en Irak et former un Etat islamique? Si une source importante de son financement provient de l’exploitation et de la vente de pétrole, quels sont les Etats ou les compagnies qui l’achètent? Par où transite-t-il? Une production journalière d’environ 40 000 barils en 2015, ne saurait passer inaperçue aux satellites qui ne cessent de scruter la région!
D’où provient l’armement de cet Etat autoproclamé? Quelles sont les banques impliquées dans la circulation des flux financiers liés à cette organisation terroriste? A l’heure où la technologie permet d’identifier et d’analyser de tels flux, il resterait à expliquer pourquoi, dans le cas de Daesh ou du front Al-Nosra, l’information demeure lacunaire. Ainsi, de nombreuses zones d’ombre subsistent. Il conviendrait de les mettre en lumière et de dénoncer la duplicité de certains responsables politiques dans de nombreux pays et en particulier en France.
Des citoyens actifs
Dévoiler une telle duplicité est essentiel, mais ne sera pas suffisant pour mettre un terme au fléau du terrorisme. Un monde déshumanisé, constitué de consommateurs infantilisés, n’apporte aucune réponse au fanatisme d’individus sous perfusion d’une violence débridée. Au cœur de l’été 2016, les médias ont mis en exergue l’engouement pour le Pokémon Go. Dans toutes les métropoles, alors que des meurtriers sont susceptibles d’opérer à grande échelle, des millions de joueurs se sont évertués à chercher des créatures virtuelles! Ce phénomène illustre l’incapacité de la société actuelle, sans véritable valeur autre que financière, centrée sur l’artificiel et la pacotille, à réagir de manière appropriée face aux menaces, comme le terrorisme.

Une société qui repose sur un utilitarisme vulgaire, qui a oublié sa culture et son identité, a d’emblée perdu la guerre face au terrorisme, avant même de l’avoir menée. En naviguant à vue, sans véritable boussole, et menée par des politiciens sans envergure ni conviction, elle risque de sombrer à tout moment et se révèle incapable de corriger les dérives sanglantes de certains individus.
Une société susceptible de répondre aux défis actuels, en particulier terroristes, requiert des citoyens actifs, prêts à prendre en main leur destin, afin d’éviter d’être les victimes d’une politique de court terme, contraire aux intérêts du plus grand nombre et d’être sacrifiés par des individus sans scrupule. Seul un esprit des lumières pourra vraiment s’opposer à l’obscurantisme et mettre un terme à la barbarie, quelles que soient ses formes.
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Diesen Kommentar veröffentlichten wir auf deutsch am 23.12.2016. Auf französisch erschien er am 12. Januar 2017 in «Le Temps»..


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Marc Chesney est professeur de finance à l’Université de Zurich

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Eine Meinung zu

  • am 22.01.2017 um 07:11 Uhr
    Permalink

    Bonjour, il me semble, que surtout les sciences de l’économie politique n’ont pas joué leurs rôles les dernières années. Croissance de l’économie avant tout sans réflexion que le néolibéralisme extrême pourrait avoir aussi bien des effets négatifs sur la cohésion d’une société. Rare ont été les voix critiques des économistes. La menace du terrorisme qu’on vit actuellement n’est qu’un des effets (de ceux qui n’ont plus rien à perdre). Si le WEF s’en charge aujourd’hui indique probablement que mêmes les élites l’ont compris : l’éternelle croissance dans un espace limité n’est pas possible.

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